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Non à la Star’Fac - Laure Limongi, "Libération", 11 mars 2009

jeudi 12 mars 2009, par Laurence

Des manifestations étaient prévues dans 23 villes de France. Nous avons suivi celle de Paris. 14h30, départ place de la République. Elle réunit tous les personnels de la maternelle à l’université, comme l’énonce une banderole de tête : « Ensemble de la maternelle à l’enseignement supérieur et à la recherche, pour la défense du service public ». Et c’est exactement le sentiment qu’on a, déambulant sous le soleil parisien : un ensemble de citoyens, calmes et motivés, se battant pour le présent et le futur de l’éducation. Se battant pour tous.

Ça a l’air tout à fait élémentaire et ce n’est pas nouveau. On en a vu beaucoup, des manifestations d’enseignants – et on en verra beaucoup. Car la situation, loin de s’arranger, prend des proportions dramatiques. Et pas seulement à long terme. De nombreuses réformes sont en cause, notamment le statut des enseignants-chercheurs, les suppressions d’heures et les suppressions de postes de maîtres spécialisés (les Rased).

Les manifestants parlent avec passion et détermination de leur présence dans la rue. Une enseignante de l’UFR d’études anglophones de Paris VII évoque la modification du statut des enseignants-chercheurs en prononçant le mot : « corruption ». Il n’est pas utilisé à la légère. Supprimer des validations par commissions nationales à 50%, c’est laisser la porte ouverte à tous types de clientélismes. Et donc, finir par risquer de niveler sérieusement le niveau de l’enseignement.

Vers une recherche appauvrie

Une étudiante de la même UFR parle également du projet de réforme du contrat doctoral qui, sous l’apparence d’une aide financière accrue, conduirait à sélectionner le panel des thèses proposées : certains travaux de doctorat, non retenus par la commission attribuant les contrats de thèse, pourraient ne jamais voir le jour. Là encore, l’horizon est un appauvrissement conséquent de la recherche. À la merci d’une politique scientifique générale.

Une enseignante spécialisée de la Rased s’inquiète de la suppression des postes dans son secteur, sous prétexte que l’« aide personnalisée » prendrait le relais. Ce qui n’est évidemment pas le cas. De surcroît, l’aide personnalisée isole les élèves nécessitant une attention particulière. Au lieu de les inclure dans la dynamique de la classe, ils se trouvent pénalisés, exclus d’une logique de groupe. Un ghetto menant droit à la fracture sociale.

Vincent, en deuxième année d’Histoire à l’université et se destinant à l’enseignement dans le primaire, se trouve confronté au problème de la masterisation. Il déplore tout particulièrement que les stages pratiques, permettant aux étudiants de fréquenter progressivement des classes avant d’obtenir un poste, soient considérablement réduits. Et ne s’imagine évidemment pas, débarquant dans une classe, sans expérience. L’allégement du concours et la suppression de matières comme la musique et les arts plastiques ne semble pas annoncer une perspective très ambitieuse.

Parmi les nombreuses banderoles, celle du collège Doisneau, dans le XXe arrondissement de Paris. Les professeurs présents protestent contre les nombreuses suppressions d’heure et l’« assouplissement » de la carte scolaire qui est loin, sur le terrain, de « favoriser l’égalité des chances ». La grève a été décidée en dernier recours, insistent-ils, faute de réponse du rectorat.

La nécessité d’agir pour le futur

Car la préoccupation de toutes les personnes rencontrées est de ne pas pénaliser les élèves. Les enseignants se sentent écartelés entre un présent très concret – les cours à assurer – et la nécessité d’agir pour le futur. Un dilemme qu’on qualifierait volontiers de cornélien – référence-dédicace à ceux que la lecture de La Princesse de Clèves ne rebute pas…

Ce ne sont pas des individus réclamant un confort personnel. Mais des citoyens investis d’une mission, ayant foi en le système éducatif français et refusant d’accepter sa remise en cause.

Un autre élément récurrent est la complexité du problème, polymorphe. Projets de modifications multiples, pourparlers, effets d’annonce… Tout est fait pour que le grand public ne puisse mesurer l’ampleur des modifications à l’œuvre. Un grand public soutenant pourtant les manifestants qui rencontrent un accueil chaleureux, distribuant des tracts ou bloquant l’entrée des universités. Ceci n’est pas une enième manifestation d’enseignants. Nous assistons à la constitution d’un mouvement social de grande ampleur.