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Universités : pour une autonomie radicale - par Jean Lastanosa, 24 heures philo, blog de "Libération", 23 février 2009

lundi 23 février 2009, par Laurence

Pour lire ce texte sur le blog "24 h philo".

Le système d’enseignement français fonctionne sur le principe de la division et les réformes proposées par la ministre Valérie Pécresse le montrent jusqu’à la caricature. La distinction qu’elle opère entre universitaires-chercheurs et universitaires-enseignants s’inscrit dans la hiérarchisation symbolique et salariale qui distingue les différents acteurs du système : séparation des enseignants du "secondaire" entre certifiés ou agrégés, du "supérieur" entre maîtres de conférence et professeurs ; distinction des enseignés entre élèves de classes préparatoires et étudiants de l’université. La distinction est légitime quand elle distingue (au sens de reconnaître, honorer, valoriser) des travaux, des investissements personnels. Mais elle n’implique pas forcément la division, source des intérêts concurrents et des corporatismes. À la nécessité d’une réforme aujourd’hui, il est possible de répondre par un autre modèle que celui de la concurrence : celui de l’autonomie collégiale.

Une université pour tous

La ministre veut-elle renforcer l’enseignement dans les universités ? Pourquoi ne pas transférer les classes préparatoires vers l’université ? Leurs professeurs, présentés souvent comme modèles de l’excellence pédagogique, renforceraient la formation initiale. Les étudiants suivraient un cursus commun et choisiraient des options pour préparer tel ou tel concours.

À l’heure où l’université est sommée de gérer ses maigres budgets selon une économie comptable, les classes préparatoires restent à l’abri des réformes. Depuis une vingtaine d’années pourtant les statistiques montrent la discrimination sociale (et, non-dite, la discrimination ethnique) qui y règne. Il n’est pas besoin de se référer à Bourdieu et à La Noblesse d’Etat pour le constater puisque les rapports du ministère ne cessent d’y souligner la très forte sous-représentation des enfants de milieux modestes. Cela n’empêche pas l’État de dépenser pour chacun de ces élèves le double de ce qu’il accorde à un étudiant.

L’intégration des classes préparatoires ne présenterait pas seulement l’avantage d’une plus grande mixité sociale, elle assurerait aussi à l’université une formation généraliste à ses premières années. Les professeurs de classes prépas ne bénéficieraient plus d’un public aussi sélectionné mais gagneraient un statut universitaire et rejoindraient une communauté plus autonome.

Une formation à long terme

Réformer le statut des enseignants-chercheurs supposerait donc de penser plus globalement la formation. De fait le projet de "masterisation" révise le recrutement des professeurs en accordant plus de légitimité à la formation universitaire, en cinq ans, et à ne plus tout décider sur la réussite d’un concours national. Là encore, pourquoi ne pas assumer clairement la remise en cause du système des concours, notamment l’agrégation ? L’exigence d’un tel critère d’excellence a perdu sa justification au regard du métier d’enseignant dans le secondaire et les professeurs vivent une situation schizoïde entre le niveau de leur formation et la réalité scolaire aujourd’hui.

Paradoxalement l’agrégation est devenue un critère de sélection pour l’obtention d’un poste à l’université : on y valorise même le rang d’admission, alors que le recrutement ne devrait se faire, en droit, qu’en fonction de la qualité des recherches, laissant leur chance aux étrangers privés du prestigieux concours. Comble d’absurdité, les nouveaux élus à l’université sont alors radiés du corps des agrégés pour rejoindre celui des maîtres de conférences. Mais la France républicaine a fait une religion de ses recrutements méritocratiques et continue d’évaluer ses fonctionnaires sur des épreuves qu’ils ont réussies ou non lorsqu’ils avaient une vingtaine d’années.

Une réforme ambitieuse consisterait à promouvoir une formation permanente des enseignants et qui leur offre diverses perspectives de carrière, permettant une évaluation sur le long terme et une singularisation des parcours. Les conditions très dégradées de l’enseignement ont malheureusement accentué le sentiment de répétition et la désaffection pour ce métier dont l’idéal missionnaire appartient aux siècles derniers. Or que propose le Ministre de l’Éducation Nationale ? Il réquisitionne tous les enseignants à leur poste et leur supprime toutes les possibilités de formation et de recherche. La seule carotte qu’il leur tend sont des heures supplémentaires. L’idéal pédagogique de Xavier Darcos, c’est gagner plus.

Une autre autonomie

Dans la lutte contre la logique exclusivement comptable qui menace les établissements d’enseignement, l’université pourrait présenter une alternative aux seules revendications étatistes. Là réside l’enjeu politique de l’autonomie et de sa définition. La loi LRU déclare offrir aux universités la liberté de gérer leur budget et leur personnel, mais elle a été conçue sur le mode entrepreneurial, avec notamment le pouvoir décisionnel donné au président de l’université. La confusion entre le modèle de l’État et celui l’entreprise y est manifeste, inaugurée par la politique du président italien Berlusconi et poursuivie par celle du président Sarkozy.

Une véritable autonomie suppose au contraire de la collégialité dans son fonctionnement. Celle-ci ne résulte pas de la collusion des intérêts particuliers mais de la participation à des projets communs. Et les structures de contre-pouvoir peuvent être collectivement mises en place selon une logique de responsabilité.

La question de l’évaluation, devenue, par volonté de contrôle gestionnaire, un litige dans la réforme du statut des enseignants-chercheurs relève de cette responsabilisation. À la suspicion qui pèse sur les chercheurs (eux qui croyaient, en France, compenser la modicité de leurs salaires par la liberté de leurs recherches), il est facile d’opposer les pratiques d’évaluation entre universitaires. La sévérité l’emporte très largement sur la complaisance, comme en témoignent les avis du Conseil National des Universités (composé majoritairement d’universitaires élus) qui, dans de nombreuses disciplines, qualifie moins d’un doctorant sur deux aux fonctions de maîtres de conférences, disqualifiant ainsi les jurys formés par leurs collègues.

Là encore, pourquoi ne pas aller plus loin et différemment de la réforme proposée en assumant pleinement l’autonomie responsable et collégiale ? La prise en compte de tous les membres du "collège" supposerait aussi une évaluation de l’université (enseignants et administratifs) par les étudiants. Aux professeurs encore si attachés à la notation, au point de gager la réussite des élèves ou des étudiants sur un demi point en dessous du fatidique 10 sur 20, on peut faire admettre que leurs cours soit l’objet sinon d’une note, du moins d’une appréciation.

Cette organisation collégiale et autonome ne se limite pas à l’enseignement dit supérieur. Elle pourrait inspirer les établissements du secondaire où là aussi pèse la menace d’une autonomie de type managérial, avec des proviseurs omnipotents. Les choix pédagogiques, les évaluations et les promotions pourraient résulter de décisions coopératives. La fausse autonomie laissée au pouvoir d’un directeur ne fait que reproduire le dirigisme d’État. Une véritable autonomie se délivre à la fois de la tutelle étatique et de l’arbitraire local. Dans une société responsable, les établissements d’éducation ne sont-ils pas les lieux où cette collégialité pourrait être encouragée ?

L’opposition aux réformes en cours ne revient donc pas nécessairement à la défense du modèle étatique, centralisateur et uniformisateur. Desserrer la tutelle de l’État est souhaitable non pour laisser les établissements gérer la pénurie des moyens, mais pour accompagner la prise en charge de l’éducation par tous ses acteurs, avec des collectivités garantes de l’indépendance financière. La liberté donnée aux établissements ne s’apparenterait alors plus à une mise en concurrence, elle viserait au contraire la promotion des richesses humaines et singulières qui composent une collectivité diversifiée.

Une telle politique de l’éducation est-elle révolutionnaire ? Un enseignement fondé sur l’autonomie collégiale relève-t-il d’une utopie ? Et si la République française sortait de l’antithèse entre étatisme et capitalisme…

Jean Lastanosa est professeur de philosophie.