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"Trois professeurs de droit analysent le projet de statut des universitaires", par Sylvestre Huet, Libéblog, Sciences 2, 9 février 2009

lundi 9 février 2009, par Elie

Pour lire cet article sur leblog de Sylvestre Huet.

Que valent les "retouches" que Valérie Pécresse sur son projet de décret sur le statut des Universitaires ? Voici l’analyse envoyée à Sciences² par trois Professeurs de droit public : Gilles Dumont, Geneviève Koubi, Gilles G. Gugliemi, auteurs de Droit du service public (Montchrestien, 2007). Je vous le livre sans commentaires.

Le « nouveau » projet de décret statutaire est une régression

Modifier le projet de décret relatif au statut des universitaires serait « extrêmement dommage pour l’université française », vient de préciser Madame Pécresse. Si l’on se fie aux quelques retouches apportées au texte le 30 janvier, force est de constater que la ministre a raison : à l’exception de l’affirmation que la modulation des services, point d’achoppement principal du texte, doit « laisser à chaque enseignant-chercheur un temps significatif pour ses activités de recherche », disposition appréciable mais pour le moins imprécise, ces récentes modifications sont en effet une régression pure et simple.

De façon plus nette encore que dans la première version, le nouveau texte proclame en effet tout d’abord avec force sa conviction que l’enseignement devant des étudiants est une punition : il continue à affirmer la nécessité de la modulation, mais ajoute désormais que les universitaires évalués positivement ne pourront voir leur service d’enseignement alourdi, ce qui, si les mots ont encore un sens, signifie bien que les enseignants les moins bons, ceux qui auront été évalués négativement suivant des critères encore inconnus, verront leur service alourdi, apparemment sans limite. La nouvelle rédaction confirme ainsi un pressentiment : les étudiants bénéficieront de (beaucoup) plus de cours de la part des moins bons enseignants, qui n’auront alors aucune chance de s’améliorer et d’approfondir leurs connaissances : voilà qui vise assurément à montrer que l’excellence de l’enseignement universitaire est une priorité gouvernementale ! Pourtant, si l’on retient les missions du service public de l’enseignement supérieur, telles qu’elles ressortent de la loi LRU (art. L. 123-3 du code de l’éducation) dont le projet de décret se veut l’application, formation (initiale et continue) et recherche (scientifique et technologique) sont bel et bien associées. Les étudiants ne sont pas des consommateurs de savoir, pas plus qu’ils ne sont les clients d’une université : ils ont droit à un enseignement de qualité, ce que n’est pas un enseignement sans recherche de même qu’un spectacle vivant ne peut être réussi sans répétitions.

Le texte comporte ensuite ce qui semble correspondre à une revendication formulée par les universitaires : qu’une part significative de leur évaluation soit effectuée, au niveau national, par des spécialistes de leur discipline. Dans la nouvelle version, les promotions seront décidées par l’université, mais pour moitié parmi des listes établies par le Conseil national de l’université (CNU), organe national d’évaluation. Cette « avancée » n’est que cosmétique : le Conseil d’administration de l’université pourra tout d’abord attribuer la moitié des promotions à des universitaires qui n’auront pas été inscrits sur les listes du CNU, c’est-à-dire dont les activités d’enseignement et de recherche auront été évaluées négativement : logique d’excellence, là encore ! Et puisqu’il s’agit, dans la « nouvelle Université », comme dans la « nouvelle recherche », de promouvoir des projets ciblés de recherche, nul doute que pour la moitié des promotions réservée aux listes du CNU, l’université pourra décider de les affecter en fonction de la politique de recherche qu’elle aura décidée (sans évaluation d’ailleurs). Des universitaires appartenant à des disciplines « non prioritaires » n’auront donc plus aucune chance de voir leur carrière évoluer – sauf à quitter leur université pour des cieux plus cléments : est-ce là ce que signifie la défense de la compétitivité des universités françaises ? – .

Ce n’est pas un texte aussi vague et flou qu’une « charte de bonne application » s’apparentant à une circulaire interprétative qui rendra le texte plus acceptable. Sans dispositions impératives et dépourvue de portée juridique, une charte n’est qu’un condensé de bonnes intentions. La référence à une « charte » se comprend peut-être dans le cadre des grandes entreprises privées : elle est incongrue quand il s’agit d’orienter l’application d’un texte alors même que les quelques garanties énoncées par la ministre auraient dû y être intégrées ; elle l’est plus encore lorsqu’est visé un service public tel que l’enseignement supérieur, dont l’article L. 141-6 du Code de l’éducation rappelle qu’il est « laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ».

Le « nouveau » projet de texte prévoit enfin que, pendant une période transitoire qui peut tout de même durer jusqu’au 1er septembre 2012, le CNU est, dans toutes et chacune de ses compétences, remplacé par le conseil scientifique, organe local de l’université. Voilà sans doute ce qui justifie réellement l’urgence de l’adoption d’un texte dont, faut-il le rappeler, la raison initiale était de lutter contre ce que la ministre présentait il y a quelques mois, et à très juste titre, comme le fléau de l’université française : ce localisme qu’elle considère désormais impérieux d’organiser et de pérenniser.